mercredi 7 août 2019

Samedi 03 août. Toutes ressemblances.... Une nouvelle de Ba Jin


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UN CONTE ANCIEN D'ALLURE 
CONTEMPORAINE.
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BA Jin (chinois : 巴金 ; pinyin : BA Jīn ; ou PA Kin en écriture EFEO), de son  nom social LI Feigan (李芾甘) est un écrivain chinois de la plus haute qualité. Si, aujourd’hui, je m’intéresse à lui, c’est que je viens de lire un recueil de ses nouvelles, intitulé La pagode de la longévité, traduit du chinois, admirablement, par NG Yok-Soon, et publié aux éditions Messidor/Temps actuels, Paris, 1984.

BA Jin y narre la manière dont son père lui racontait des histoires et les rêves que ses histoires extraordinaires suscitaient chez le petit garçon qu’il était alors.

Le recueil est fort de quatre récits. Le titre du premier a donné son nom au recueil tout entier. C’est à ce premier récit que je m’intéresse. Vous allez voir pourquoi, à l’aide de quelques citations. 
Or donc, le père de BA Jin lui raconte l’histoire d’un méchant empereur :

"Il était une fois, raconte le père de BA Jin, un empereur qui était un homme plein de talent. Tous ses ministres l’admiraient et il gouvernait un très grand pays… […].
“ — Grand Empereur ! Empereur tout puissant !”, s’exclamaient les fonctionnaires. Tandis que ces ovations enraient dans son palais, l’empereur souriait avec joie en se caressant la barbe.
“ — Vive l’empereur ! Qu’il vive très longtemps ! Qu’il vive très, très longtemps !” Souvent, bon nombre de fonctionnaires, fervent admirateurs de l’empereur, prosternés à l’extérieur du palais, l’acclamaient et le flattaient. Leur fidélité rendait l’empereur très heureux. Celui-ci les promouvait tous à des postes importants. Ils le remerciaient avec gratitude, et s’en retournaient joyeusement chez eux. Par la suite, leur ferveur pour l’empereur redoublait, ils l’acclamaient avec encore plus de fidélité et l’empereur les aimait tous.
         Ainsi, dans ce pays, le nombre de postes dans l’administration augmenta tout à coup considérablement. […]."

Cela vous rappelle-t-il quelqu’un ou quelque chose ? Poursuivons !

"Ce grand empereur vivait dans son palais la plus merveilleuse des vies. […]. Tout compte fait, le palais était vraiment luxueux et beau, et la vie dans le palais vraiment très gaie. […].
[…].
Oui, dans le palais, la vie était heureuse, douce ; la vie était pleine de bonheur. Mais dans certaines régions très éloignées, par exemple dans les montagnes, au bord de la mer, les régions que l’empereur ne voyait pas et où il n’allait jamais, il y avait beaucoup de maisons froides dans lesquelles vivaient d’innombrables pauvres. Ils travaillaient pour l’empereur à toutes sortes de besognes pénibles. […]. Et cependant, ils n’avaient obtenu aucune récompense. Contraints de rentrer chez eux, harassés, ils souffraient de la faim et du froid."

Toutes les ressemblances avec une situation contemporaine à couleur jaune ne sont pas que fortuites. Poursuivons... L’empereur se voit vieillir et il se met en quête de trouver le remède qui lui conférerait l’immortalité. Entendons en termes contemporains, sa réélection à la présidence de la république. Notre empereur dépêche donc dans les coins de l’empire des envoyés chargés de lui rapporter le remède d’immortalité. Ils reviennent bredouilles. Entendez que le résultat des élections municipales qui viennent ne sont pas à la hauteur des impériales espérances. Il en envoie d’autres qui, de la même manière, ne trouvent pas ce remède mais rapportent que dans le temps il était conservé dans une pagode à 27 étages, mais que la pagode s’est écroulée brusquement, ce qui me rappelle furieusement la chute de la monarchie. Poursuivons… Des émissaires plus malins revinrent avec des échantillons de plantes diverses qu’ils offrirent à l’empereur comme remède d’immortalité. Mais l’empereur vieillissait pourtant et sa santé déclinait, surtout dans les sondages. Poursuivons... Poursuivons toujours...

"Inutile de dire que les hauts fonctionnaires, promus aux grades supérieurs grâce à l’offre du remède d’immortalité furent à leur tour pris de panique. Et en dehors de leurs prières, ovations et paroles flatteuses, ils n’avaient aucun pouvoir sur la santé de l’empereur. Souvent ils réfléchissaient et discutaient à son insu de ce problème. Un des vieux fonctionnaires clairvoyants trouva une raison ; il déclara que si le remède n’avait pas été efficace, c’était sûrement à case des manigances des masses pauvres qui vivaient dans les montagnes et au bord de la mer ; c’était sûrement eux qui utilisaient en cachette la sorcellerie pour nuire à l’empereur.
“ — Ah ! vous avez raison ! en effet, ils ont prononcé des paroles irrespectueuses envers l’empereur ! C’est sûrement eux qui jettent leur malédiction sur l’empereur. Et d’ailleurs, moi-même, j’ai entendu leurs griefs !”, ajouta un des hauts fonctionnaires qui avait été envoyé à la recherche du remède d’immortalité.
“ — C’est surement ça ! Ces masses pauvres n’ont jamais reçu de bienfaits de l’empereur ; c’est pourquoi elles le haïssent.” Les hauts fonctionnaires partagèrent tous cette opinion et la transmirent à l’empereur, lors de l’audience impériale.
Depuis toujours, l’empereur n’aimait pas les masses pauvres car, d’une part, les hauts fonctionnaires médisaient toujours d’elles auprès de lui et, d’autre part, lui-même avait aperçu par hasard que ces gens s’habillaient de vêtements déchirés et qu’ils avaient le visage triste. Et ce qui provoquait chez lui le plus grand mécontentement, c’est que ces gens ne connaissaient pas la politesse et ne se prosternaient pas devant lui en lui adressant des vœux de longévité. Après avoir écouté l’avis de ces hauts fonctionnaires, l’empereur réfléchit et leur accorda aussitôt son approbation, et sans autre réflexion, il donna l’ordre de punir ces masses pauvres. […]."

Et c’est ainsi que les masses pauvres se virent infliger la taxe carbone, l’augmentation de la CSG, la non indexation des retraites, sous l’impulsion des hauts fonctionnaires de Bercy, et c’est ainsi que pour faire taire leurs griefs, les grands de ce monde pondirent la loi Avia, se virent exemptés de l’impôt sur la fortune mobilière, la plus spéculative qui soit, tandis qu’il était maintenu sur les biens immobiliers ; c’est ainsi que la justice rendue par les hauts fonctionnaires fut dotée d’une géométrie hypervariable. Rassurez-vous, la pagode d’immortalité que l’empereur fit construire avec la sueur et le sang des pauvres s’écroula dès la rentrée de Jupiter Imperator en octobre 2019 en son palais de l’Élysée.
Vous avez le droit de diffuser ce billet. BA Jin écrivit cette nouvelle à Yokohama, au Japon, en décembre 1934.

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