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UN CONTE ANCIEN D'ALLURE
CONTEMPORAINE.
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BA Jin (chinois : 巴金 ; pinyin : BA Jīn ; ou PA Kin
en écriture EFEO), de son nom social LI Feigan (李芾甘) est un écrivain chinois de la plus
haute qualité. Si, aujourd’hui, je m’intéresse à lui, c’est que je viens de lire
un recueil de ses nouvelles, intitulé La
pagode de la longévité, traduit du chinois, admirablement, par NG Yok-Soon,
et publié aux éditions Messidor/Temps actuels, Paris, 1984.
BA Jin y narre
la manière dont son père lui racontait des histoires et les rêves que ses
histoires extraordinaires suscitaient chez le petit garçon qu’il était alors.
Le recueil est
fort de quatre récits. Le titre du premier a donné son nom au recueil tout
entier. C’est à ce premier récit que je m’intéresse. Vous allez voir pourquoi,
à l’aide de quelques citations.
Or donc, le père de BA Jin lui raconte l’histoire
d’un méchant empereur :
"Il était
une fois, raconte le père de BA Jin, un empereur qui était un homme plein de
talent. Tous ses ministres l’admiraient et il gouvernait un très grand pays… […].
“ — Grand
Empereur ! Empereur tout puissant !”, s’exclamaient les
fonctionnaires. Tandis que ces ovations enraient dans son palais, l’empereur
souriait avec joie en se caressant la barbe.
“ — Vive l’empereur !
Qu’il vive très longtemps ! Qu’il vive très, très longtemps !” Souvent,
bon nombre de fonctionnaires, fervent admirateurs de l’empereur, prosternés à l’extérieur
du palais, l’acclamaient et le flattaient. Leur fidélité rendait l’empereur
très heureux. Celui-ci les promouvait tous à des postes importants. Ils le
remerciaient avec gratitude, et s’en retournaient joyeusement chez eux. Par la
suite, leur ferveur pour l’empereur redoublait, ils l’acclamaient avec encore
plus de fidélité et l’empereur les aimait tous.
Ainsi, dans ce pays, le nombre de
postes dans l’administration augmenta tout à coup considérablement. […]."
Cela vous
rappelle-t-il quelqu’un ou quelque chose ? Poursuivons !
"Ce grand empereur vivait
dans son palais la plus merveilleuse des vies. […]. Tout compte fait, le palais
était vraiment luxueux et beau, et la vie dans le palais vraiment très gaie. […].
[…].
Oui, dans le palais, la vie
était heureuse, douce ; la vie était pleine de bonheur. Mais dans
certaines régions très éloignées, par exemple dans les montagnes, au bord de la
mer, les régions que l’empereur ne voyait pas et où il n’allait jamais, il y avait
beaucoup de maisons froides dans lesquelles vivaient d’innombrables pauvres.
Ils travaillaient pour l’empereur à toutes sortes de besognes pénibles. […]. Et
cependant, ils n’avaient obtenu aucune récompense. Contraints de rentrer chez
eux, harassés, ils souffraient de la faim et du froid."
Toutes les ressemblances avec une situation contemporaine à couleur jaune ne sont pas que fortuites.
Poursuivons... L’empereur se voit vieillir et il se met en quête de trouver le
remède qui lui conférerait l’immortalité. Entendons en termes contemporains, sa
réélection à la présidence de la république. Notre empereur dépêche donc dans les
coins de l’empire des envoyés chargés de lui rapporter le remède d’immortalité.
Ils reviennent bredouilles. Entendez que le résultat des élections municipales
qui viennent ne sont pas à la hauteur des impériales espérances. Il en envoie d’autres qui, de la même manière, ne trouvent pas ce remède mais rapportent que dans le
temps il était conservé dans une pagode à 27 étages, mais que la pagode s’est
écroulée brusquement, ce qui me rappelle furieusement la chute de la monarchie.
Poursuivons… Des émissaires plus malins revinrent avec des échantillons de
plantes diverses qu’ils offrirent à l’empereur comme remède d’immortalité. Mais
l’empereur vieillissait pourtant et sa santé déclinait, surtout dans les
sondages. Poursuivons... Poursuivons toujours...
"Inutile de dire que les
hauts fonctionnaires, promus aux grades supérieurs grâce à l’offre du remède d’immortalité
furent à leur tour pris de panique. Et en dehors de leurs prières, ovations et
paroles flatteuses, ils n’avaient aucun pouvoir sur la santé de l’empereur.
Souvent ils réfléchissaient et discutaient à son insu de ce problème. Un des
vieux fonctionnaires clairvoyants trouva une raison ; il déclara que si le
remède n’avait pas été efficace, c’était sûrement à case des manigances des masses pauvres qui vivaient
dans les montagnes et au bord de la mer ; c’était sûrement eux qui
utilisaient en cachette la sorcellerie pour nuire à l’empereur.
“ — Ah ! vous avez raison !
en effet, ils ont prononcé des paroles irrespectueuses envers l’empereur !
C’est sûrement eux qui jettent leur malédiction sur l’empereur. Et d’ailleurs,
moi-même, j’ai entendu leurs griefs !”, ajouta un des hauts fonctionnaires
qui avait été envoyé à la recherche du remède d’immortalité.
“ — C’est
surement ça ! Ces masses pauvres n’ont jamais reçu de bienfaits de l’empereur ;
c’est pourquoi elles le haïssent.” Les hauts fonctionnaires partagèrent tous
cette opinion et la transmirent à l’empereur, lors de l’audience impériale.
Depuis toujours,
l’empereur n’aimait pas les masses pauvres car, d’une part, les hauts
fonctionnaires médisaient toujours d’elles auprès de lui et, d’autre part,
lui-même avait aperçu par hasard que ces gens s’habillaient de vêtements déchirés
et qu’ils avaient le visage triste. Et ce qui provoquait chez lui le plus grand
mécontentement, c’est que ces gens ne connaissaient pas la politesse et ne se
prosternaient pas devant lui en lui adressant des vœux de longévité. Après
avoir écouté l’avis de ces hauts fonctionnaires, l’empereur réfléchit et leur
accorda aussitôt son approbation, et sans autre réflexion, il donna l’ordre de
punir ces masses pauvres. […]."
Et c’est ainsi que les
masses pauvres se virent infliger la taxe carbone, l’augmentation de la CSG, la
non indexation des retraites, sous l’impulsion des hauts fonctionnaires de
Bercy, et c’est ainsi que pour faire taire leurs griefs, les grands de ce monde
pondirent la loi Avia, se virent exemptés de l’impôt sur la fortune mobilière,
la plus spéculative qui soit, tandis qu’il était maintenu sur les biens immobiliers ;
c’est ainsi que la justice rendue par les hauts fonctionnaires fut dotée d’une
géométrie hypervariable. Rassurez-vous, la pagode d’immortalité que l’empereur
fit construire avec la sueur et le sang des pauvres s’écroula dès la rentrée de
Jupiter Imperator en octobre 2019 en son palais de l’Élysée.
Vous avez le droit
de diffuser ce billet. BA Jin écrivit cette nouvelle à Yokohama, au Japon, en
décembre 1934.
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