mardi 17 juin 2008

Contresens ou contre-vérité ?

Georges DUMEZIL est un de ces intellectuels qui font l'honneur de la pensée française. Spécialiste des langues du Caucase dont il a sauvé quelques unes de la disparition, c'est aussi et surtout le père de la théorie des trois fonctions qui a structuré les sociétés indo-européennes, des temps les plus anciens jusqu'à un passé relativement récent. Il a montré que les panthéons des sociétés indo-européennes étaient triples tout comme les sociétés et correspondaient aux différentes fonctions qui permettent à la société de se constituer et de survivre : la fonction religieuse, la fonction guerrière, et la fonction de production des biens agricoles et "industriels".
Il faut bien comprendre ce que signifie le mot "fonction". Il désigne l'ensemble des modalités selon lesquelles une structure fait face à une nécessité vitale. Les prêtres exerçaient la fonction de souveraineté magique et religieuse ; les guerriers, la fonction de défense de la communauté contre ses ennemis ; les paysans, laboureurs et artisans fournissaient à la communauté de quoi vivre matériellement. A ma connaissance, et je m'en étonnais (mais je n'ai pas tout lu de cet auteur, même si je possède dans ma bibliothèque la quasi totalité de ses oeuvres), DUMEZIL n'avait pas noté que les trois ordres qui structuraient la société française de l'Ancien Régime, Clergé, Noblesse, Tiers-Etat, correspondaient à ces trois fonctions. J'ai découvert avec surprise, dans un petit ouvrage très intéressant (Jean VARENNE. Zoroastre, le prophète de l'Iran. Editions Dervy, Paris, 2007. [page 19]), la première allusion à cette correspondance entre nos ordres et les très antiques habitudes indo-européennes.
Que le temps, l'usage, les déviations qu'imposent la nature humaine et ses appétits, aient défiguré ces ordres, et les aient fixés dans un système finalement injuste, nul ne peut en disconvenir. Car, en tout cas en France, à la fin du XVIIIe S., les responsabilités sociales de ces ordres n'étaient plus assurés par leurs membres, qui avaient remplacé dans leur esprit, l'égalité dans la diversité par une hiérarchie naturelle des mérites et des qualités fort discutable. Là, me semble-t-il, n'est pas le point. Qu'il eut fallu réformer, c'était l'évidence. Mais remplacer les ordres et les fonctions par les classes sociales, et instaurer une impitoyable lutte entre elles, comme si les fonctions devaient disparaître, est une aberration intellectuelle. Analyser l'histoire de l'Ancien Régime avec cette catégorie moderne revient à vouloir écraser une mouche avec un marteau-pilon, ou plus exactement un éléphant avec chasse-mouche, tant la structure des trois fonctions a marqué notre histoire et marque encore notre société. C'est un contresens ou une contre-vérité. Mais si papa MARX et ses admirateurs ont un moyen spécial pour supprimer l'armée, faire pousser les légumes sans agriculteurs, produire des voitures et des téléviseurs, des poteries et des chaussures sans artisans et sans ouvriers, qu'ils le disent. Quant aux prêtres qu'ils se sont acharnés à faire disparaître avec un certains succès, il me semble avoir été peu avantageusement remplacés par les voyantes, les cartomanciennes, les astrologues et les horoscopistes de tous poils. Car, au coeur de l'homme, demeure l'interrogation centrale du sens de la vie.
Je conclus : assumer ses responsabilités sociales, trouver un sens supérieur à son existence, et savoir se battre pour elle, la sienne propre et celle des autres, me semble être le début d'une vie bonne.

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