Après le rejet du Traité de Lisbonne par les Irlandais, les journaux écrits et parlés titrent avec un air de catastrophe : L'Europe en crise. Je crois qu'il n'en est rien et qu'il serait plus judicieux de dire : Une certaine idée de l'Europe en crise.
Pour comprendre ce que cela veut dire, il suffit de se rapporter à un passé récent ou relativement récent et de rapporter quelques faits. Les Norvégiens ont refusé, à deux reprises, d'adhérer à l'Europe ; les Irlandais ont refusé de voter la première mouture d'un traité qui instituait l'Union Européenne ; ils ne l'ont accepté qu'en deuxième lecture et après des modifications qui satisfaisaient certaines de leurs exigences ; les Danois n'ont pas intégré le système monétaire de l'Euro, pas plus que les Anglais ; les Français, puis les Néerlandais, ont refusé de voter le Traité Constitutionnel. Ça fait beaucoup de monde. Voilà qui aurait dû alerter les hommes politiques. Quand de nombreuses nations regimbent à rentrer dans un système sorti tout droit du cerveau de fonctionnaires irresponsables, non élus, anonymes (car ce sont eux qui mettent en musique juridique les conclusions des politiques, complètement débordés par le sujet), il faut s'interroger et se demander pourquoi.
Dans le cas des Irlandais, la chose est simple. Cette nation a failli disparaître. Elle a conquis chèrement sa liberté sur les Anglais qui l'avaient colonisée, et qui avaient réduit à la pauvreté et à l'esclavage, avec une brutalité inouïe (on séparait les enfants de leurs parents, par exemple) sa population. On comprend qu'ils se méfient de tout ce qui pourrait attenter à une identité si malmenée par l'histoire. Pour les Français, il en va de même. On ne réduit pas la plus anciennement constituée des nations européennes à un strapontin de Commissaire aux Transports, octroyé du bout des lèvres par un Président qui parle à peine notre langue. On ne joue pas avec l'histoire et avec le sentiment d'appartenance. Je reconnais la grandeur de la nation portugaise, son goût des aventures maritimes, son courage antique. Mais enfin monsieur BARROSO n'aurait pas dû nous offenser ainsi.
Il faut bien comprendre que les peuples n'acceptent pas de se voir régenter par une cohorte de plumitifs bruxellois, qui entendent nous imposer la largeur des pneus, le diamètre des pommes, l'étiquetage de nos produits alimentaires, et leur composition (ah ! l'histoire du chocolat !), et jusqu'à nos moeurs mêmes, et qui sournoisement nous imposent une langue unique, l'anglais, langue admirable certes, mais qui n'est pas la nôtre ni, souvent, celle des rebelles (quand bien même, je dois l'avouer, par métier, j'ai dû la pratiquer, et je l'écris et la lis tout comme le français).
D'où vient cette erreur de perspective ? Hélas je crains qu'elle ne vienne de nos propres philosophes des Lumières, et de leur système de pensée, qui s'est imposé quand la France et sa langue dominaient l'Europe. C'est un juste retour de bâton que d'être puni par où l'on a péché.
Je vous ai dit que le mal avait commencé de prendre racine sous la Régence avec les décisions cyniques et injustes du Régent. Voici un exemple qui vous illustrera ce que je veux dire : DUCLOS, dans ses mémoires secrets dit ceci. L'amour de ma patrie ne me rendra pas partial, ni me fera trahir la vérité ; mais je rendrai service à une province [ndt : la Bretagne] noblement attachée au Roi, et qui réclamait contre la violation de ses privilèges. Les peuples les plus jaloux de leurs droits sont les plus attachés à leurs devoirs ; et le mécontentement des Bretons était fondé dans son origine. Les États [sous-entendu : de Bretagne] voulaient faire rendre compte à MONTARAN, leur trésorier : rien n'était plus juste, et n'intéressait moins l'Etat : le Régent devait, au contraire, approuver une conduite si régulière. Malheureusement pour la Province, MONTARAN avait un frère capitaine aux gardes, gros joueur et fort répandu. Un tel sujet est homme intéressant à PARIS. Il employa le crédit de plusieurs femmes, qui prouvèrent clairement qu'on devait beaucoup d'égards au frère d'un homme si utile à la société ; et les États eurent le démenti de leur entreprise. On embastilla les gentilshommes bretons, on envoya à NANTES une commission pour instruire le procès des accusés. Et le Régent poursuivit sa vie de débauche à PARIS.
Il y a là exactement les mêmes ingrédients que ceux dont nous discutons ici. Remplacez PARIS par BRUXELLES, transposez Trésorier des États à Haut Fonctionnaire, accointances familiales à complicités d'affaires, pressions de ces dames à pression des lobbies, et vous aurez la même structure politique. Pour notre malheur, le Régent était du parti des Philosophes, et les Bretons furent réduits a quia, ce que n'aurait JAMAIS fait un Roi. Le même DUCLOS l'explique et j'y reviendrai dans un prochain billet.
Comme quoi, l'histoire est un éternel recommencement. L'Europe n'est pas en crise. C'est leur idée bruxelloise qui l'est. Le Général avait raison, une fois de plus. Que n'est-il là pour remettre sur la bonne voie le bateau ivre ? Car l'Europe existe, et elle a une vocation historique. Ce qui la construit, c'est une immense diversité, une culture très riche, une histoire mouvementée mais qui fait converger ses peuples vers l'entente et la concorde.
Plutôt que de nous imposer l'anglais, la Commission devrait suggérer que tout locuteur d'une langue latine possédât une langue anglo-saxonne et une autre langue (latine ou slave), que tout locuteur anglo-saxon en fît de même (une autre langue anglo-saxonne, et une langue latine ou slave), que tout locuteur d'une langue slave utilisât une autre langue slave et une langue latine ou anglo-saxonne. Voilà qui permettrait un début d'inter-compréhension, et non point l'unification de la pensée et la rentrée dans une indifférenciation culturelle grosse de violences. (J'y reviendrai avec René GIRARD).
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