J'ai déjà chanté mon admiration pour Gustave THIBON. Tout ce qu'il dit est rare, dense, pensé, pesé et il faudrait tout retenir de ses écrits. Voilà par exemple un petit bijou, qui éclaire bien des comportements, des opinions, et des choix politiques ou moraux. (In Notre regard qui manque à la lumière. Fayard, Paris, réédition de mai 1995)
Je ne connais pas, dit le philosophe vigneron, de notion qui prête le plus le flanc à l'équivoque (et au mensonge) que celle de la sincérité.
Si la sincérité consiste à manifester extérieurement ce que l'on est l'intérieur, je ne crains pas d'affirmer que tous les hommes sont sincères, y compris les pires menteurs. Car le mensonge révèle un être au même titre que la vérité : il est la fidèle projection au dehors d'une nature intrinsèquement frelatée. L'âme du faux-monnayeur est faite d'un alliage aussi impur que les produits de son industrie. L'inconstance, la fourberie sont la "sincérité" du décadent, du lâche et de l'intrigant : leurs actes expriment leur âme, il y a coïncidence entre l'extérieur et l'intérieur. Il ne s'agit donc pas de sincérité ou de mensonge, mais de la qualité, du niveau des sincérités. Tout est sincère en nous, même le masque, car dans l'ordre moral, le masque est un visage malade.
Et ceci encore, aussi fort, aussi dérangeant, aussi juste.
A celui qui ne peut pas guérir, il ne reste qu'une issue, qu'une revanche : répandre son mal au dehors. Sous le masque de la morale, de l'art ou de la religion, que d'efforts déploient chaque jour des coeurs infectés pour rendre contagieux un mal incurable. On rapporte avec horreur l'acte du tuberculeux qui crache dans les aliments pour communiquer son mal à ses proches. Ce misérable a beaucoup d'émules dans l'ordre spirituel ; ils sont peintres, philosophes ou romanciers, mais au lieu de susciter le dégoût, ils récoltent la gloire. Je préfère ne pas citer les noms illustres que la nausée met sur mes lèvres... Le sommet de la pureté, pour de tels malades, serait de renoncer simultanément à la guérison et à la diffusion de leur mal.
Vous comprenez peut-être, si vous êtes un lecteur assidu de ces pauvres billets, pourquoi je lutte contre le penser faux, l'idéalisme utopique, le "tout se vaut", la culture décadente qui nous cerne, nous infiltre, nous envahit, et se diffuse comme un cancer. JE ME PROTÈGE D'UN PLUS GRAND MAL. Croyez bien que je n'entretiens aucune illusion sur moi-même ; je sais bien que je ne vaux pas plus que ceux que je critique. Du moins essayé-je de ne pas répandre mes propres poisons dans mon entourage. Le fond de ma pensée est simple : compassion pour la faiblesse et l'imperfection des tous les êtres humains, et je m'inclus, sans trop insister, dans les objets de ma compassion, - il est difficile d'aimer les autres si l'on n'a pas l'amour de soi (les aimer "comme soi-même" dit Jésus). Mais je désire ouvrir les yeux sur mes propres limites, ma propre maladie. Car le même Jésus condamne ainsi ceux qui disent avoir la lumière : Parce que vous dites "je vois", VOTRE PÉCHÉ DEMEURE.
Inlassable recherche de la vérité, inlassable quête de la lumière, n'est-ce pas là le but de toute vie humaine, là où elle se déploie, dans un lieu, une histoire, une culture précis et incarné ? N'est-ce pas là le but que tout homme politique devrait assigner à son action : conduire ses concitoyens à la FIN QUI LEUR EST DUE, la lumière, la vérité, et le sens ?
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