Dans un très remarquable livre sur la Chine dont j'ai déjà parlé dans un billet, Simon LEYS écrit ceci qui mérite d'être relevé :
Dans la nausée de SARTRE - bon échantillon de la conscience occidentale, dans sa forme la plus étroite - il y a deux objets dont la vue suscite chez Roquentin un sentiment d'absurdité existentielle tel, qu'il aboutit physiquement à la nausée : un galet poli par les vagues, et une racine noueuse. Il est intéressant de noter que ce sont là précisément deux types d'objets assidûment recherché par les collectionneurs chinois, car mieux parfois que des oeuvres d'art fameuses, ils pouvaient plonger les esthètes en extase.
Il faut avoir l'esprit bien tordu, et une esthétique relevant d'un système préformé, il faut avoir une imagination échevelée mais morbide, pour imaginer le héros de SARTRE. Qui n'a jamais VRAIMENT rêvé, comme les collectionneurs chinois, devant la racine d'un arbre abattu par la tempête ? Qui n'a pas plongé en esprit, à la vue d'un galet, dans ces moments immémoriaux où la terre en gésine donnait naissance aux roches et à l'océan qui les polirait ? Il faut avoir une perversion du goût incroyable pour faire de ROQUENTIN un modèle. Il faut faire violence à ses émotions. Dans cinquante ans, on en sourira, (comme on se posera de sérieuses questions sur le nouveau roman qui relève du même esprit de système). Comme si la beauté ne résultait pas d'un accord subtil et secret entre la nature et l'homme, fruit d'un long commerce, d'une longue patience, et d'une active sympathie ?
On en revient toujours à ce que je disais hier dans mon billet : ce prurit de nouveautés qui reposent sur les nuages des idées, au lieu de s'émouvoir au contact du réel et des sentiments qu'il suscite en nous, pousse l'occident dans une impasse dont il ne sortira que par sa conversion (un retour à ses racines) ou par sa disparition.
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