Réponse
à Dominique et à Francis, des amis.
Dominique
commente le billet dans lequel je fais allusion au procès de Louis XVI ; il
suggère que Louis XVI était un traître à sa patrie, puis dit que chacun
pourrait se faire une opinion, puisque les minutes du procès sont tombées dans
le domaine public et que l’on peut les consulter sur Wikipédia.
Cette
affirmation est partiellement exacte, très partiellement exacte, et pour tout
dire, elle participe à la partialité de la notice de Wikipédia. Je me permets
de vous faire part ici de quelques faits et textes restés inconnus pour la
plupart, et qui donnent à réfléchir et à se faire effectivement une opinion.
Reprenons
les choses dans l’ordre. D’abord le nombre de votants.
Sur
les 749 membres déclarés en droit de juger le roi : 683 votèrent la
culpabilité, lors du premier vote sur ce point. On procéda ensuite à un second
vote pour savoir si après le verdict on demanderait sa ratification par le
peuple français. Un pointage soigneux pris sur les documents originaux du
procès donne les chiffres suivants :
Pour
l’appel au peuple : 286
Contre
l’appel au peuple : 425
Malades : 9
Se
récusent : 9
Émettent
un avis qui n’est
pas
pris en compte :
5
Absents
car en Commission : 20
Total : 754
On
observe que le total des voix est supérieur au nombre de députés. C’est en vain
d’ailleurs qu’un conventionnel, un homme droit, CAZENAVE, député des
Hautes-Pyrénées demandent que les membres de la Convention qui n’ont pas
assisté aux débats du procès mais sont arrivés quelques jours avant le vote
fatal, n’aient pas le droit de vote, puisqu’ils n’ont pas connaissance de tous
les éléments du dossier et il réclame que l’on défalque leurs voix du résultat
final. Demande repoussée.
Pour
dépeindre la lassitude et l’écœurement de certains Conventionnels, il est
intéressant de faire parler ici des acteurs de ce procès. En premier lieu
RABAUT-SAINT-ÉTIENNE : « Si les juges sont en même temps
législateurs, s’ils décident la loi, les formes, le temps, s’ils accusent et
s’ils condamnent, s’ils ont toute la puissance législative, exécutive et
judiciaire, ce n’est pas en France, c’est à Constantinople, c’est à Lisbonne,
c’est à Goa qu’il faut chercher la liberté. Quant à moi, je vous l’avoue, je
suis las de ma portion de despotisme, je suis fatigué, harcelé, bourrelé de la
tyrannie que j’exerce pour ma part, et je soupire après le moment où vous aurez
créé un tribunal national qui me fasse perdre les formes et la contenance d’un
tyran. »
Dans
la séance du 13 novembre 1793, Charles MORISSON, député modéré, élu de la
Vendée, fut l’un des quatre Conventionnels qui déclarèrent illégal la
transformation de la Convention en Tribunal et des Conventionnels en jurés.
Voici le texte de son intervention : « Une nation peut établir par un
article précis de son contrat social que, quoiqu’elle ait des droits
imprescriptibles de prononcer des peines aussitôt l’existence d’un délit et la
conviction du coupable, l’accusé ne sera jugé, ne sera condamné, que lorsqu’il
existera une loi positive qui puisse lui être appliquée. Ainsi depuis longtemps
les Anglais, nos voisins, ont acquitté leur criminels dans tous les cas qui
n’avaient pas été prévus par une loi positive. D’après nos institutions, pour
pouvoir juger Louis XVI, il faut qu’il y ait une loi positive, préexistante,
qui puisse lui être appliquée, mais cette loi n’existe point. Le Roi n’est
inviolable que par la Constitution. La Constitution n’existe plus, son
inviolabilité a cessé avec elle. Mais la Constitution subsiste toujours pour
tout ce qui n’a pas été anéanti par des lois postérieures ou par des faits
positifs, tels que la suppression de la Royauté et l’établissement de la
République. Mais le peuple souverain a déterminé la peine qui lui serait
infligée, et cette peine est seulement la déchéance. Mais la Convention
nationale aurait-elle encore la mission de juger Louis XVI, je soutiens qu’elle
ne pourrait la remplir, parce qu’un jugement, dans l’ordre social, n’est que
l’application d’une loi positive préexistante, qu’il n’existe pas de loi
positive qui puisse être appliquée à Louis XVI, point de peine qui puisse être
prononcée contre lui. » MORISSON est juriste et il s’exprime ici en
juriste et fort à propos. Il refusa de voter au motif que Louis XVI n’était pas
justiciable, pour les raisons qu’il avait dites.
Passons
sur le discours abominable de haine de SAINT-JUST qui intervint peu après
MORISSON et venons-en à l’intervention de ROBESPIERRE : « L’assemblée
a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n’y a point de
procès à faire. Louis n’est point un accusé, vous n’êtes pas des juges. Vous
êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État et les représentants de la
Nation. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme mais
une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer
(on applaudit). La question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls
mots : Louis est détrôné par ses crimes. […]. »
Notons
trois choses : le peuple est dit souverain, mais on refuse de recourir à
lui pour ratifier la condamnation. Les Conventionnels représentent (après
dépouillements des résultats électoraux) 4 % de la population française. Louis n'est pas un accusé et les Conventionnels ne sont pas des juges. Est-ce là un procès équitable ? C'est une exécution de nature politique !
Le calme, la dignité, la majesté de
Louis XVI lors de son procès arrache à l’ignoble MARAT ces mots :
« Innocent, qu’il eût été grand à mes yeux dans cette humiliation ».
Le même homme avouait que les accusations n’étaient ni démontrées
péremptoirement ni même déterminées d’une manière précise.
Écoutons maintenant Jean-Jacques
FOCKEDEY qui dans ses Souvenirs rapportent ses impressions sur les événements
de septembre : « Je me permettrai quelques mots sur la Convention
nationale : elle fut convoquée à la suite des événements du 10 août, par
la première législature qui succéda en 1791 à l’Assemblée constituante. La Convention
était composée de 749 membres ; elle renfermait beaucoup d’hommes de
grands moyens, parmi lesquels se trouvaient des partisans de la République, par
conséquent ennemis déclarés de la monarchie, de la dynastie régnante dont ils
déclarèrent la déchéance dès le 30 septembre et par un décret subséquent
proclamèrent la République. Je partis de Dunkerque le 21 septembre 1792.
J’appris l’abolition de la Royauté et l’établissement de la République le 22.
Monsieur MERLIN de DOUAI, député comme moi à la Convention, mon compagnon de
voyage, ne put y croire, vu que ces décrets avaient été rendus avant la réunion
générale de tous les députés nouvellement élus. Nos doutes se changèrent en
réalité le lendemain, jour de notre arrivée à Paris, et le décret avait été
rendu à la majorité des membres présents et pendant l’absence d’environ 500
(cinq cents !) députés non encore arrivés…
―
Arrivés à Paris dans la matinée du 24, nous nous rendîmes aux archives pour
nous faire connaître. Monsieur MERLIN fut mon introducteur, car jusqu’alors je
n’avais pas de pièces qui constatassent ma qualité de député, et sur
l’assertion de monsieur MERLIN, l’archiviste M. CAMUS m’enregistra et m’en
délivra l’extrait. ― De là nous fûmes au comité de l’inspection, où monsieur
CATON, son président, me délivra sa carte d’entrée sous le n° 304. ― Sans nul doute, les 22 et 23 septembre, il
était arrivé bon nombre de députés. L’Assemblée conventionnelle comportait en
totalité 749 députés. Donc la Royauté fut abolie et la République fut décrétée
et proclamée par tout au plus les deux cinquième de ses membres. ― Cette
marche précipitée fut-elle légale ? La réponse est simple et aisée. La
crainte des novateurs de ne pas réussir à substituer un gouvernement
républicain au gouvernement monarchique et constitutionnel si la totalité des
députés eût pris part à ce changement majeur et si important, les détermina à
rendre ce décret. Telle était à mes yeux étonnés cette Convention à laquelle
j’osais dire un jour dans mon discours prononcé à la tribune, à l’occasion du
jugement du malheureux Louis XVI : Qu’elle
représentait plutôt une arène de gladiateurs qu’un aréopage de législateurs, et
que si la nation assemblée pouvait être présente à nos délibérations, elle nous
chasserait à coups de fouet. ― Des murmures accueillirent cette phrase.
Habitué à ces interruptions, je repris ma phrase et je haussai la voix pour
qu’elle fût bien comprise, laissant aux interrupteurs la honte de s’y
reconnaître. ― Il était évident pour tout homme réfléchi et bien pensant que le
gouvernement républicain voté avant l’arrivée de tous les députés était
illégal ; […]. »
Enfin voici ce qu’on rapporte d’une
conversation que Jean De BRY ou DEBRY eut avec des proche alors que, sous
l’Empire, il avait été nommé préfet du Doubs. Il disait que son vote (il vota
la mort) pesait sur sa conscience. Il se bornait à l’expliquer. ―
« J’étais parti de chez moi, disait-il, avec l’intention formelle de voter
le bannissement du Roi et non pas la mort ; je l’avais promis à ma femme.
Arrivé à l’assemblée, on me rappela d’un signe le serment des loges. Les
menaces des tribunes achevèrent de me troubler : je votais la mort. »
― Jean DEBRY ajoutait d’un air mystérieux : « On ne saura jamais si Louis XVI a été réellement condamné à la majorité
de CINQ voix. ― Plusieurs croient
que le bureau a pu modifier quelques votes avec la complicité silencieuse de
ceux qui les avaient donnés. On avait arrangé en conséquence le récit des
séances du Moniteur. Quand même le
vote était public, personne, excepté les membres du bureau, n’en avait le
relevé exact. La séance avait duré deux jours et une nuit, et cette longueur
contribua à rendre incertain le résultat suprême. Mais on voulait en finir, et
la fameuse majorité de cinq voix a peut-être été constatée à la dernière heure,
pour s’épargner l’ennui d’un nouveau scrutin. » (Cité par N. DESCHAMPS. Les sociétés secrètes et la société… II,
page 136.)
Dans l’ouvrage (que je possède)
intitulé Petite biographie
conventionnelle ou tableau moral et raisonné, (l’auteur est anonyme) publié
à Paris en 1815, il est indiqué, faussement semble-t-il, que DEBRY est mort en
1814. En revanche, il y est clairement souligné qu’il faisait partie des
enragés puisqu’il voulait créer un corps de tyrannicides « pour combattre,
corps à corps les rois en guerre avec la France et les généraux qui combattent
leurs armées. Il demanda qu’il fût accordé une récompense de cent mille francs
à ceux qui apporteraient les têtes du duc Albert de SAXE-TESCHEN ; de
François II, empereur d’Allemagne ; de Frédéric-Guillaume, roi de
Prusse ; du duc de BRUNSWICK, et de toutes les bêtes fauves qui leur
ressemblaient ». On s’interroge donc sur les raisons de ce remord tardif.
DEBRY est mort en 1834, après avoir passé 15 ans en exil, à MONS, de 1815 à
1830, date à laquelle il rentre dans sa patrie. Est-ce pour se concilier les
bonnes grâces du Roi des Français ? On ne saurait le dire.
Je voudrai pour terminer vous rappeler
les immortelles paroles d’André LAIGNEL, (ci-devant maire d’ISSOUDUN, surnommé
le Nain Sectaire, et promoteur malheureux de la fameuse loi sur la création
d’un grand service public laïc, national et unifié de l’Éducation nationale,
destinée à supprimer les écoles, collèges et lycées privés sous-contrat).
L’initiative de cet imbécile aboutit à un résultat malheureux : la
démission anticipée d’Alain SAVARY, un honnête homme qui ne faisait que mettre
en musique les instructions du Premier ministre et du Président de la
République. Il fut doublement désavoué et par ces derniers et par le prévisible
mouvement de résistance des Français. Rappelez-vous et n’oubliez jamais ces
immortelles paroles qui nous ramènent à la dictature du nombre :
« Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement
minoritaires ! » Vous comprendrez alors pourquoi les arrière-grands
parents de ce monsieur, ont précipité la proclamation de la République en
l’absence des trois cinquièmes des députés de la Convention : il leur
fallait pouvoir justifier leur décisions par la loi du nombre…
(Cf.https://www.histoire-en-citations.fr/citations/laignel-vous-avez-juridiquement-tort-parce-que-vous )
Si vous voulez bien rentrer dans la perspective historique qui explique l’actuelle république, souvenez-vous de ce que des hommes droits ont dénoncé lors du procès du malheureux Louis XVI, et des remords tardifs du sanguinaire DEBRY.
Mes
sources :
Gustave
BORD.
La
vérité sur la condamnation de Louis XVI.
A. Sauton,
Éditeur, Paris, 1885. (Téléchargeable depuis BNF-Gallica, ce que j’ai fait.)
(Anonyme.)
Petite
biographie conventionnelle ou tableau moral et raisonné.
Chez
Alexis Eymery, Paris, 1815. (Livre en ma possession.)
N.
DESCHAMPS.
Les
sociétés secrètes et la société ou philosophie de l’histoire contemporaine.
6e
édition. En trois tomes.
Seguin
frères, Avignon ; Oudin frères, Paris ; Librairie générale catholique
et classique, Lyon, 1882. (Téléchargeables depuis la Bibliothèque
Saint-Libère, ce que j'ai fait.)
Augustin
COCHIN.
La
Révolution et la libre-pensée. La socialisation de la pensée (1780-1789). La
socialisation de la personne (1789-1792). La socialisation des biens
(1793-1794).
Librairie
Plon, Les petits-fils de Plon et Nourrit, Paris, 1924.
Augustin
COCHIN.
Les
Sociétés de pensée et la démocratie moderne. Études d’histoire révolutionnaire.
Librairie
Plon, Les petits-fils de Plon et Nourrit, Paris, 1921.
(Je
possède ces deux livres.)
Il
faudrait aussi lire TAINE et Edgar QUINET. Mais je ne me suis pas inspiré de
ces deux auteurs dont je possède les ouvrages (en édition originale pour TAINE,
dans une réédition moderne pour QUINET, peu suspect de sympathie pour la
monarchie, mais qui est un homme intellectuellement probe, et un véritable
historien).
On
m’objectera, bien à tort, que j’ai pris mes sources dans des ouvrages d’auteurs
très critiques pour la Révolution. Mais les renseignements que nous donne l’histoire
officielle sont puisés à des ouvrages produits par des AULARD (un véritable
imbécile), MATTHIEZ, SOBOUL, qui tous se réclament du jacobinisme, quand ce n’est
pas du marxisme. Il est donc parfaitement légitime de contrebalancer les
opinions officielles par d’autres qui ne le sont pas ! Il me semble que c’est
la bonne méthode pour se faire une opinion, comme le suggère Dominique.
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