samedi 13 janvier 2018

13 janvier 2018. Note très longue sur le Procès fait à Louis XVI.

Réponse à Dominique et à Francis, des amis.

Dominique commente le billet dans lequel je fais allusion au procès de Louis XVI ; il suggère que Louis XVI était un traître à sa patrie, puis dit que chacun pourrait se faire une opinion, puisque les minutes du procès sont tombées dans le domaine public et que l’on peut les consulter sur Wikipédia.
Cette affirmation est partiellement exacte, très partiellement exacte, et pour tout dire, elle participe à la partialité de la notice de Wikipédia. Je me permets de vous faire part ici de quelques faits et textes restés inconnus pour la plupart, et qui donnent à réfléchir et à se faire effectivement une opinion.

Reprenons les choses dans l’ordre. D’abord le nombre de votants.

Sur les 749 membres déclarés en droit de juger le roi : 683 votèrent la culpabilité, lors du premier vote sur ce point. On procéda ensuite à un second vote pour savoir si après le verdict on demanderait sa ratification par le peuple français. Un pointage soigneux pris sur les documents originaux du procès donne les chiffres suivants :
Pour l’appel au peuple            : 286
Contre l’appel au peuple         : 425
Malades                                   : 9
Se récusent                              : 9
Émettent un avis qui n’est
pas pris en compte                   : 5
Absents car en Commission    : 20

Total                                         : 754

On observe que le total des voix est supérieur au nombre de députés. C’est en vain d’ailleurs qu’un conventionnel, un homme droit, CAZENAVE, député des Hautes-Pyrénées demandent que les membres de la Convention qui n’ont pas assisté aux débats du procès mais sont arrivés quelques jours avant le vote fatal, n’aient pas le droit de vote, puisqu’ils n’ont pas connaissance de tous les éléments du dossier et il réclame que l’on défalque leurs voix du résultat final. Demande repoussée.

Pour dépeindre la lassitude et l’écœurement de certains Conventionnels, il est intéressant de faire parler ici des acteurs de ce procès. En premier lieu RABAUT-SAINT-ÉTIENNE : « Si les juges sont en même temps législateurs, s’ils décident la loi, les formes, le temps, s’ils accusent et s’ils condamnent, s’ils ont toute la puissance législative, exécutive et judiciaire, ce n’est pas en France, c’est à Constantinople, c’est à Lisbonne, c’est à Goa qu’il faut chercher la liberté. Quant à moi, je vous l’avoue, je suis las de ma portion de despotisme, je suis fatigué, harcelé, bourrelé de la tyrannie que j’exerce pour ma part, et je soupire après le moment où vous aurez créé un tribunal national qui me fasse perdre les formes et la contenance d’un tyran. »

Dans la séance du 13 novembre 1793, Charles MORISSON, député modéré, élu de la Vendée, fut l’un des quatre Conventionnels qui déclarèrent illégal la transformation de la Convention en Tribunal et des Conventionnels en jurés. Voici le texte de son intervention : « Une nation peut établir par un article précis de son contrat social que, quoiqu’elle ait des droits imprescriptibles de prononcer des peines aussitôt l’existence d’un délit et la conviction du coupable, l’accusé ne sera jugé, ne sera condamné, que lorsqu’il existera une loi positive qui puisse lui être appliquée. Ainsi depuis longtemps les Anglais, nos voisins, ont acquitté leur criminels dans tous les cas qui n’avaient pas été prévus par une loi positive. D’après nos institutions, pour pouvoir juger Louis XVI, il faut qu’il y ait une loi positive, préexistante, qui puisse lui être appliquée, mais cette loi n’existe point. Le Roi n’est inviolable que par la Constitution. La Constitution n’existe plus, son inviolabilité a cessé avec elle. Mais la Constitution subsiste toujours pour tout ce qui n’a pas été anéanti par des lois postérieures ou par des faits positifs, tels que la suppression de la Royauté et l’établissement de la République. Mais le peuple souverain a déterminé la peine qui lui serait infligée, et cette peine est seulement la déchéance. Mais la Convention nationale aurait-elle encore la mission de juger Louis XVI, je soutiens qu’elle ne pourrait la remplir, parce qu’un jugement, dans l’ordre social, n’est que l’application d’une loi positive préexistante, qu’il n’existe pas de loi positive qui puisse être appliquée à Louis XVI, point de peine qui puisse être prononcée contre lui. » MORISSON est juriste et il s’exprime ici en juriste et fort à propos. Il refusa de voter au motif que Louis XVI n’était pas justiciable, pour les raisons qu’il avait dites.

Passons sur le discours abominable de haine de SAINT-JUST qui intervint peu après MORISSON et venons-en à l’intervention de ROBESPIERRE : « L’assemblée a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n’y a point de procès à faire. Louis n’est point un accusé, vous n’êtes pas des juges. Vous êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État et les représentants de la Nation. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer (on applaudit). La question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots : Louis est détrôné par ses crimes. […]. »

Notons trois choses : le peuple est dit souverain, mais on refuse de recourir à lui pour ratifier la condamnation. Les Conventionnels représentent (après dépouillements des résultats électoraux) 4 % de la population française. Louis n'est pas un accusé et les Conventionnels ne sont pas des juges. Est-ce là un procès équitable ? C'est une exécution de nature politique !

Le calme, la dignité, la majesté de Louis XVI lors de son procès arrache à l’ignoble MARAT ces mots : « Innocent, qu’il eût été grand à mes yeux dans cette humiliation ». Le même homme avouait que les accusations n’étaient ni démontrées péremptoirement ni même déterminées d’une manière précise.
Écoutons maintenant Jean-Jacques FOCKEDEY qui dans ses Souvenirs rapportent ses impressions sur les événements de septembre : « Je me permettrai quelques mots sur la Convention nationale : elle fut convoquée à la suite des événements du 10 août, par la première législature qui succéda en 1791 à l’Assemblée constituante. La Convention était composée de 749 membres ; elle renfermait beaucoup d’hommes de grands moyens, parmi lesquels se trouvaient des partisans de la République, par conséquent ennemis déclarés de la monarchie, de la dynastie régnante dont ils déclarèrent la déchéance dès le 30 septembre et par un décret subséquent proclamèrent la République. Je partis de Dunkerque le 21 septembre 1792. J’appris l’abolition de la Royauté et l’établissement de la République le 22. Monsieur MERLIN de DOUAI, député comme moi à la Convention, mon compagnon de voyage, ne put y croire, vu que ces décrets avaient été rendus avant la réunion générale de tous les députés nouvellement élus. Nos doutes se changèrent en réalité le lendemain, jour de notre arrivée à Paris, et le décret avait été rendu à la majorité des membres présents et pendant l’absence d’environ 500 (cinq cents !) députés non encore arrivés…
― Arrivés à Paris dans la matinée du 24, nous nous rendîmes aux archives pour nous faire connaître. Monsieur MERLIN fut mon introducteur, car jusqu’alors je n’avais pas de pièces qui constatassent ma qualité de député, et sur l’assertion de monsieur MERLIN, l’archiviste M. CAMUS m’enregistra et m’en délivra l’extrait. ― De là nous fûmes au comité de l’inspection, où monsieur CATON, son président, me délivra sa carte d’entrée sous le n° 304. ― Sans nul doute, les 22 et 23 septembre, il était arrivé bon nombre de députés. L’Assemblée conventionnelle comportait en totalité 749 députés. Donc la Royauté fut abolie et la République fut décrétée et proclamée par tout au plus les deux cinquième de ses membres. ― Cette marche précipitée fut-elle légale ? La réponse est simple et aisée. La crainte des novateurs de ne pas réussir à substituer un gouvernement républicain au gouvernement monarchique et constitutionnel si la totalité des députés eût pris part à ce changement majeur et si important, les détermina à rendre ce décret. Telle était à mes yeux étonnés cette Convention à laquelle j’osais dire un jour dans mon discours prononcé à la tribune, à l’occasion du jugement du malheureux Louis XVI : Qu’elle représentait plutôt une arène de gladiateurs qu’un aréopage de législateurs, et que si la nation assemblée pouvait être présente à nos délibérations, elle nous chasserait à coups de fouet. ― Des murmures accueillirent cette phrase. Habitué à ces interruptions, je repris ma phrase et je haussai la voix pour qu’elle fût bien comprise, laissant aux interrupteurs la honte de s’y reconnaître. ― Il était évident pour tout homme réfléchi et bien pensant que le gouvernement républicain voté avant l’arrivée de tous les députés était illégal ; […]. »

         Enfin voici ce qu’on rapporte d’une conversation que Jean De BRY ou DEBRY eut avec des proche alors que, sous l’Empire, il avait été nommé préfet du Doubs. Il disait que son vote (il vota la mort) pesait sur sa conscience. Il se bornait à l’expliquer. ― « J’étais parti de chez moi, disait-il, avec l’intention formelle de voter le bannissement du Roi et non pas la mort ; je l’avais promis à ma femme. Arrivé à l’assemblée, on me rappela d’un signe le serment des loges. Les menaces des tribunes achevèrent de me troubler : je votais la mort. » ― Jean DEBRY ajoutait d’un air mystérieux : « On ne saura jamais si Louis XVI a été réellement condamné à la majorité de CINQ voix. ― Plusieurs croient que le bureau a pu modifier quelques votes avec la complicité silencieuse de ceux qui les avaient donnés. On avait arrangé en conséquence le récit des séances du Moniteur. Quand même le vote était public, personne, excepté les membres du bureau, n’en avait le relevé exact. La séance avait duré deux jours et une nuit, et cette longueur contribua à rendre incertain le résultat suprême. Mais on voulait en finir, et la fameuse majorité de cinq voix a peut-être été constatée à la dernière heure, pour s’épargner l’ennui d’un nouveau scrutin. » (Cité par N. DESCHAMPS. Les sociétés secrètes et la société… II, page 136.)

         Dans l’ouvrage (que je possède) intitulé Petite biographie conventionnelle ou tableau moral et raisonné, (l’auteur est anonyme) publié à Paris en 1815, il est indiqué, faussement semble-t-il, que DEBRY est mort en 1814. En revanche, il y est clairement souligné qu’il faisait partie des enragés puisqu’il voulait créer un corps de tyrannicides « pour combattre, corps à corps les rois en guerre avec la France et les généraux qui combattent leurs armées. Il demanda qu’il fût accordé une récompense de cent mille francs à ceux qui apporteraient les têtes du duc Albert de SAXE-TESCHEN ; de François II, empereur d’Allemagne ; de Frédéric-Guillaume, roi de Prusse ; du duc de BRUNSWICK, et de toutes les bêtes fauves qui leur ressemblaient ». On s’interroge donc sur les raisons de ce remord tardif. DEBRY est mort en 1834, après avoir passé 15 ans en exil, à MONS, de 1815 à 1830, date à laquelle il rentre dans sa patrie. Est-ce pour se concilier les bonnes grâces du Roi des Français ? On ne saurait le dire.

Je voudrai pour terminer vous rappeler les immortelles paroles d’André LAIGNEL, (ci-devant maire d’ISSOUDUN, surnommé le Nain Sectaire, et promoteur malheureux de la fameuse loi sur la création d’un grand service public laïc, national et unifié de l’Éducation nationale, destinée à supprimer les écoles, collèges et lycées privés sous-contrat). L’initiative de cet imbécile aboutit à un résultat malheureux : la démission anticipée d’Alain SAVARY, un honnête homme qui ne faisait que mettre en musique les instructions du Premier ministre et du Président de la République. Il fut doublement désavoué et par ces derniers et par le prévisible mouvement de résistance des Français. Rappelez-vous et n’oubliez jamais ces immortelles paroles qui nous ramènent à la dictature du nombre : « Vous avez juridiquement tort, parce que vous êtes politiquement minoritaires ! » Vous comprendrez alors pourquoi les arrière-grands parents de ce monsieur, ont précipité la proclamation de la République en l’absence des trois cinquièmes des députés de la Convention : il leur fallait pouvoir justifier leur décisions par la loi du nombre…

Si vous voulez bien rentrer dans la perspective historique qui explique l’actuelle république, souvenez-vous de ce que des hommes droits ont dénoncé lors du procès du malheureux Louis XVI, et des remords tardifs du sanguinaire DEBRY. 

Mes sources :

Gustave BORD.
La vérité sur la condamnation de Louis XVI.
A. Sauton, Éditeur, Paris, 1885. (Téléchargeable depuis BNF-Gallica, ce que j’ai fait.)

(Anonyme.)
Petite biographie conventionnelle ou tableau moral et raisonné.
Chez Alexis Eymery, Paris, 1815. (Livre en ma possession.)

N. DESCHAMPS.
Les sociétés secrètes et la société ou philosophie de l’histoire contemporaine.
6e édition. En trois tomes.
Seguin frères, Avignon ; Oudin frères, Paris ; Librairie générale catholique et classique, Lyon, 1882. (Téléchargeables depuis la Bibliothèque Saint-Libère, ce que j'ai fait.)

Augustin COCHIN.
La Révolution et la libre-pensée. La socialisation de la pensée (1780-1789). La socialisation de la personne (1789-1792). La socialisation des biens (1793-1794).
Librairie Plon, Les petits-fils de Plon et Nourrit, Paris, 1924.

Augustin COCHIN.
Les Sociétés de pensée et la démocratie moderne. Études d’histoire révolutionnaire.
Librairie Plon, Les petits-fils de Plon et Nourrit, Paris, 1921.
(Je possède ces deux livres.)

Il faudrait aussi lire TAINE et Edgar QUINET. Mais je ne me suis pas inspiré de ces deux auteurs dont je possède les ouvrages (en édition originale pour TAINE, dans une réédition moderne pour QUINET, peu suspect de sympathie pour la monarchie, mais qui est un homme intellectuellement probe, et un véritable historien).

On m’objectera, bien à tort, que j’ai pris mes sources dans des ouvrages d’auteurs très critiques pour la Révolution. Mais les renseignements que nous donne l’histoire officielle sont puisés à des ouvrages produits par des AULARD (un véritable imbécile), MATTHIEZ, SOBOUL, qui tous se réclament du jacobinisme, quand ce n’est pas du marxisme. Il est donc parfaitement légitime de contrebalancer les opinions officielles par d’autres qui ne le sont pas ! Il me semble que c’est la bonne méthode pour se faire une opinion, comme le suggère Dominique.


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