mardi 23 janvier 2018

23 janvier 2018. Note pas trop brève : le crucifié contre Nietzsche.

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Comme vous le savez, je mets le lien de mes billets quotidiens sur ma page Facebook, et en réalité, c’est sur cette page, publique, que se tiennent les discussions les plus serrées.
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         Je répondrai ici et d’abord à Maximilien, l’un des hommes les plus érudits, les plus fins et les plus musiciens que je connaisse. Un véritable ami. Maximilien se demande comment il m’est possible de trouver à Jésus des traits de caractères remarquables et puissants. Et il confesse – si je puis utiliser cette expression – que Nietzsche a raison contre le Crucifié, qui a prêché une morale d’esclaves. Je soutiens ici le contraire. Le Crucifié a raison contre Nietzsche
         En premier lieu, je dirai que j’ai eu la grâce d’une conversion immédiate, éblouissante, le 21 août 1997. Je n’ai pas à détailler ici les conditions qui m’ont conduit à accueillir cette lumière. Mais voilà le principe d'intelligibilité de mes opinions.
         En second lieu, il m’apparaît que Jésus, à ce qu’en disent les Évangiles, n’a jamais parlé de morale, jamais. Et je mets au défi qui que ce soit de prouver le contraire. À plusieurs reprises, il a dit à des infirmes ou des malades qu’il venait de guérir de leurs infirmités : "Va, et ne pèche plus". Toute la question qui se pose dans cette remarque est donc celle du péché et non pas celle du : « il faut », « tu dois », « il ne faut pas ». Jésus n’a jamais parlé en termes d’interdits ou d’obligations, mais toujours en termes de vie, et notamment de vie éternelle.
         Alors il convient de regarder ce qu’il a fait, et de voir s’il a vécu librement, au sein d’une société corsetée par les six-cents et quelques commandements rituels de la Torah. Il commence par affirmer que le Fils de l’Homme est Maître du sabbat – voilà qui fait désordre dans ce système où les scribes, les prêtres, sont les maîtres du jeu social – puis il affirme que le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat. Si nous essayons de nous plonger dans la mentalité de l’époque, nous constatons qu’il fait preuve d’une liberté de ton et d’action (puisque il guérit le jour du sabbat, ce qui est assimilé à un travail, interdit en un tel jour) impensable dans la société juive de l'époque.
         Bien conscient qu’il bouscule des traditions multiséculaires, qui lui vaudront d’être tué, il proclame : "Je suis venu apporter un feu sur la terre et comme il me tarde qu’il soit allumé". Je ne trouve pas dans ces paroles un discours mellifluent, sirupeux, ou convenu. Il y a là une affirmation. Mais qu’est-ce que ce feu ? On peut déjà affirmer qu’il va apporter la division entre ceux qui se laissent consumer par lui, et ceux qui tentent de l’éteindre avec l’eau bourbeuse et mondaine : "le père [se dressera] contre le fils et le fils contre le père, la mère contre la fille et la fille contre la mère, la belle-mère contre la belle-fille, la belle-fille contre la belle-mère, etc."
         Déjà le vieillard Siméon dit à Marie, la mère de Jésus, lors de la présentation au Temple, que ce petit bébé serait "un signe de contradiction". Il s’agit donc de savoir en quoi consiste cette contradiction : personnellement, je crois qu’elle consiste à renoncer à la volonté de puissance (telle que Nietzsche la décrit et qui est en général mésinterprétée : il s’agit de la volonté de vivre et de donner plein développement à une pulsion vitale de croissance et d’expansion, et non pas de soumettre autrui à sa propre volonté) sans jamais tomber dans le ressentiment, ce sentiment effectivement trop répandu dans la partie de la population humaine soumise à l’esclavage d’un travail sans intérêt, à l’obéissance à un maître, un sentiment qui conduit à des Révolutions et à la survenue de maîtres encore plus exigeants. Il s’agit donc d’accepter de donner sa vie (et il y a bien des manières de le faire) sans jamais juger (c’est la partie de la contradiction la plus difficile à vivre).
         Il y a enfin cette scène extraordinaire où l’on voit Jésus se faire un fouet pour chasser les vendeurs du Temple, renverser les tables des changeurs de monnaie et proclamer la sainteté du lieu. Vous imaginez, de nos jours, un ascète, un thaumaturge reconnu, un homme bon et pieux, chasser à Lourdes les marchands de bondieuseries en leur reprochant leur impiété ? Non décidément, ce n’est pas l’attitude d’un esclave qui dit oui à tout. Jésus n’est pas un béni-oui-oui, loin de là, et sa majesté éclate, quand il dit à Pilate qu’il est Roi, mais que sa Royauté n’est pas de ce monde, et quand il lui rétorque qu’il n’aurait, lui, Pilate, aucun pouvoir sur lui, s’il ne lui avait été donné d’en-haut.
         En somme, ce ne sont pas les paroles onctueuses de quelques clercs bien intentionnés, mais les exemples de ces hommes et ces femmes qui ont vécu librement en s’opposant souvent aux pouvoirs en place qui enseignent. La liste de ces courageux est trop longue et parmi eux des prêtres, des évêques, des moines, des laïcs. Il n’y a qu’à consulter le martyrologe.
         Je ne puis m’empêcher de penser à cette terrible parole : "Celui qui rougira de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père". Que jamais cette condamnation ne s'applique à ma personne !
         Ce que je viens de dire ne relève ni de l’apologie, ni de l’autojustification, mais tout simplement de la profession de foi.
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         Je répondrai à Louis-Marie dans un second billet distinct de celui-là.


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