Voici le début de
la dernière lettre que Marie — jeune bénévole partie au Pérou dans un Centre
consacré à l’éducation des enfants de familles pauvres, et fondé par les
jésuites — nous envoie avant son retour en France. Je devine derrière les mots
la nostalgie qui entoure ce départ et l’amour que Marie porte à ce pays, à ses
enfants et à son peuple. Et je me demande aussi si cette nostalgie subtile ne
puisse pas son eau dans une source que j’ignore. Vous admirerez aussi l’humour
de Marie. J’ai hâte de la revoir à Paris !
"Tacna, sous
le soleil d’hiver, n’a pas changé de visage. Les élections municipales poussent
les candidats à faire des travaux, dans le centre de la ville, alors que
celui-ci a été refait, il y a un an. Le psychologue perd son travail car il ne
soutient pas le candidat de la municipalité et refuse de faire campagne,
pendant les heures de travail. Le conducteur de bus, à l’aide d’un chiffon
sale, nettoie son bus, plein de poussière, à la fin de la ligne, résigné à
l’idée qu’il sera de nouveau sale avec les pas de ses premières passagères.
Toujours à la fin de la ligne, dans les bordures de la ville, on peut voir
écrit « Le voleur qui sera trouvé, sera brûlé vif. » Bienvenido. Le rottweiler
d’un maître peu soucieux du danger que représente son chien sans laisse et sans
protection le laisse attaquer les passants et les enfants. La police ne fait
rien. On finit par jeter un morceau de viande empoisonnée par-dessus la clôture
et démonter le système électrique du maître en question. Œil pour œil, dent
pour dent.
Mais on aperçoit
aussi les images discrètes de Mère Theresa et Jean-Paul II dans la pharmacie au
coin de la rue. Les enfants jouent au football avec une bouteille en plastique
et reprennent le chemin de l’école. 2,5 semaines avant mon départ, nous avons obtenu
une vraie et belle poubelle pour déposer nos ordures. Je continue à m’imaginer
des visages et des histoires derrière les tombes du cimetière à l’ambiance
surannée, situé près de ma maison.
Préparant dans
notre cœur notre départ prochain, on invite à déjeuner à la maison une de nos
caseras (« vendeuses ») du marché. Nous allons le lui rappeler deux heures
avant. Nous nous empressons, Nuria et moi, de préparer de délicieuses tortillas
qui nous brûlent les doigts car notre poêle (vocabulaire de la cuisine dont je
me suis rappelée grâce à ma grand-tante, l’ayant remplacé provisoirement, faute
de mémoire, par casserole aplatie) avait perdu son manche. La gazinière,
remplie d’huile d’olive, laissait la trace de notre travail. Après deux heures
de travail, Nuria, ponctuelle, est allée chercher notre casera. On ne l’a
jamais trouvé. Elle était partie déjeuner chez elle. Elle nous a demandé,
quelques jours après, s’il y avait des restes.
Le temps est comme
l’eau qui coule entre mes mains, impossible de le retenir. A défaut de retenir
le temps, je vais retenir les mots de sorte qu’ils ne se déposent pas sur
beaucoup de pages sans même que j’y fasse attention. On peut reconnaître
quelqu’un à la nature des mots qu’il mange. C’est la manière dont nous fait
signe Jean Bobin dans L’épuisement."
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