Bien de mes rares lecteurs risquent d'être déconcertés par ce billet. Et pourtant il est essentiel. Il exprime ma totale incompréhension de la vision que le monde politique actuel a de la société, des hommes et de la politique. Myriam sait, car je le lui ai dit, que le premier billet de ce jour lui serait consacré...
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Chère Myriam,
Voilà bien sept ans que nous ne nous étions vus. Nous nous sommes retrouvés, à STRASBOURG, chez ma fille et son mari pour un petit apéritif, égayé par cette magnifique bouteille de vin d'Alsace, un grain noble, une vendange tardive que vous avez apportée.
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Vous rentriez jadis dans votre bureau en chantant, pour me provoquer gentiment et parce que c'était vos convictions : "C'est l'internationale" hurliez-vous à tue-tête ; mon bureau étant à côté du vôtre, je reprenais avec vous le deuxième vers "Groupons-nous et demain...", et nous faisions chorus à la stupéfaction des étudiants, des chercheurs ou des visiteurs qui passaient par le couloir de notre laboratoire. Vous étiez directe (ça pour être directe, vous l'étiez), vous n'aviez pas peur de dire ce que vous pensiez de l'arrogance (ou de ce que, parfois, vous preniez pour tel) de la bourgeoisie, mais je comprenais, à travers vos propos, qu'il y avait dans ce reproche (souvent fondé) une blessure secrète, celle de n'avoir pas été prise pour ce que vous êtes.
Car vous êtes intelligente, très intelligente, et nul, pendant votre scolarité, n'a su détecter les potentialités intellectuelles qui étaient les vôtres. Je trouve ça lamentable ! Quel décalage entre ce qu'on vous a contrainte à faire, et vos qualités. Cultivée, lectrice assidue des bons auteurs, vive, et par-dessus tout d'une très grande droiture morale. Vous m'en avez appris sur la vie, chère Myriam. La plus grande leçon que vous m'ayez donnée, et que je n'ai jamais oubliée fut cette remarque : "Vous ne savez pas ce que c'est d'être pauvre". Non, je ne le savais pas, et si j'ai été élevé de manière très austère par mes parents (je dois à mon seul travail d'avoir pu acheter une moto d'occasion, une 350 BSA, puis une DKW junior deux temps elle aussi d'occasion [un gouffre, une citerne ambulante !], et enfin une 2 CV quand je me suis marié), je n'ai jamais été confronté à la situation de savoir si le boulanger accepterait de nous faire crédit à la fin du mois. Tout cela vous me l'avez décrit, appris avec une infinie pudeur à quoi se mêlait la force d'une légitime révolte que je partageais, car si je déteste la paresse et l'assistanat, je trouve honteux de confiner les talents des hommes dans les étroites limites d'une convenance sociale.
Oui, chère Myriam, en dépit de nos divergences d'opinions politiques, j'ai gardé pour vous la plus grande estime et je vous garde une amitié intacte. Vous avez eu la gentillesse de me dire dire avant hier soir que si vous n'en aviez pas eu pour moi, vous ne seriez pas venue à l'apéritif. Je vous en suis reconnaissant. Je ne renierai pas pour autant mes origines (je n'y suis pour rien) : j'ai en effet été élevé dans une famille bourgeoise, mais je dois à mes parents d'avoir eu très tôt les yeux ouverts sur le monde. Ma maman m'a donné l'exemple d'une femme discrète, toute dévouée au service des pauvres, des vieillards, des personnes malades ; mon père m'a donné l'exemple d'un homme qui savait, sans le claironner sur les toits, donner à bien des oeuvres, tant catholiques que laïques. Nous ne l'avons su, pour certaines d'entre elles, qu'après sa mort. Et si je suis contraint par les faits à reconnaître l'existence des classes sociales, je n'y mets point de hiérarchie ; la fraternité humaine me paraît être plus porteuse de paix et d'avenir, que cette prétendue classification à laquelle je ne puis adhérer.
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Chacun de nous est divisé à l'intérieur de lui-même, comme la société l'est en elle-même ; chaque être humain est venu au monde seul, et il mourra seul. Il y a cette plage de vie "ensemble", où la présence à l'autre est le seul moyen de trouver du bonheur...
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A bientôt, chère Myriam. Saluez votre charmante fille de ma part. Et soyez assurée de mon amitié et de mon respect.
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